Actions collectives répétitives : chose jugée et abus (et quel avenir pour l’étape de l’autorisation)?

Les actions collectives rejetées au stade de l’autorisation pour absence de cause d’action personnelle du représentant proposé ou son incapacité à assurer une représentation adéquate des membres restent rarement des œuvres inachevées et sont souvent ré-entreprises par l’entremise d’un autre demandeur.

La Cour d’appel fut saisie des questions à savoir si une nouvelle demande pour autorisation d’exercer une action collective par un autre membre du groupe alors proposé pouvait être sanctionnée en raison de la chose jugée, ou si une telle démarche peut constituer un abus de procédure. Sans avoir sanctionné une telle seconde demande, la Cour d’appel soulignait néanmoins dans l’affaire Whirpool Canada c. Gaudette1 que le corridor permettant l’étude d’une seconde demande d’autorisation d’exercer une action collective est étroit et il doit le demeurer si l’on veut s’assurer d’une saine gestion des ressources judiciaires.

I. L’historique judiciaire

Au cours de l’année 2009, une demande pour autorisation d’exercer une action collective fut entreprise contre un manufacturier d’électroménagers fondée sur un vice de conception allégué d’un appareil. Ce recours a été rejeté au stade de l’autorisation en 2013 en raison de la prescription du recours individuel du demandeur2, jugement confirmé en 2015 par la Cour d’appel3.

En 2016, une nouvelle demande pour autorisation d’exercer une action collective visant les mêmes cause et objet était entreprise par un nouveau demandeur par l’entremise du même avocat.

En réponse à cette demande, les défenderesses ont présenté un moyen d’irrecevabilité fondé sur la chose jugée et l’abus de procédure rejeté par la Cour supérieure4, d’où l’appel.  

II. L’arrêt de la Cour d’appel

En regard de l’argument d’irrecevabilité fondé sur la chose jugée, alors que le second demandeur était membre de la première action collective, la Cour mentionne que bien que les affaires puissent présenter la triple identité de parties, cause et objet, l’autorité de la chose jugée ne s’applique qu’à l’égard de ce qui a effectivement été décidé.

Rappelant qu’avant l’autorisation, le recours n’existe pas dans sa dimension collective et que l’action de la première demande fut rejetée en raison de la prescription de sa cause d’action individuelle, le premier jugement n’a l’autorité de la chose jugée qu’à cet égard, et seulement envers le premier demandeur. Alors que le syllogisme juridique du premier demandeur et le fondement de son recours contre les défenderesses n’a pas fait l’objet d’un examen, on ne saurait en pareilles circonstances opposer l’autorité de la chose jugée pour empêcher un autre membre mieux qualifié de présenter une autre requête aux mêmes fins.

Quant au moyen fondé sur l’abus de procédure, il était fondé sur le fait que le premier demandeur aurait dû accepter d’être substitué lorsque le moyen de prescription fut initialement soulevé pour éviter le gaspillage de ressources judiciaires. Bien que sensible à l’argument, la Cour d’appel souligna que les circonstances en instance ne représentent pas un abus au sens de l’article 51 du Code de procédure civile. Alors que la Cour ne put évaluer quand le moyen de prescription fut soulevé la première fois pour déterminer si l’avocat du demandeur aurait été négligeant en ne prenant pas les mesures pour pallier à la situation, le recours en l’espèce n’est pas nécessairement frivole et peut justifier un examen au fond.

La Cour rejetait ainsi l’appel et confirmait le rejet du moyen d’irrecevabilité des défenderesses. Cette action collective pourra ainsi cheminer pour un nouvel examen.

III. Quel avenir pour le test de l’autorisation?

En 2016, dans l’affaire Charles c. Boiron5, la Juge Bich questionnait le test de l’autorisation et suggérait qu’il puisse être supprimé ou incorporé à l’instance elle-même. Or, la Juge Savard dans Whirpool Canada c. Gaudette, exprimait plutôt que l’étape de l’autorisation devait être renforcée.

Non sans illustrer les divergences auprès de la magistrature quant à la portée réelle de l’étape de l’autorisation et l’interprétation des critères de l’article 575 du Code de procédure civile, cette dualité de visions appelle certainement à une reconsidération de cette étape par le législateur ou la Cour suprême du Canada.

La Juge Savard invitait également à ce que les moyens préliminaires soient désormais plaidés au même moment que la demande d’autorisation pour accélérer le processus et réduire les délais judiciaires afin que, dans l’éventualité du rejet des premiers, le tribunal puisse au même moment statuer sur la seconde. Une telle option est certes envisageable pour des moyens tels ceux dont la Cour d’appel était saisie dans cette affaire mais pourrait s’avérer moins fonctionnelle pour d’autres types de demandes qui peuvent être présentées avant l’autorisation.

Chose certaine, le traitement des demandes d’autorisation d’exercer une action collective et l’interprétation de ces critères ne sont pas nécessairement cristallisés et pourraient être revisités dans l’avenir. 


1 Whirpool Canada c. Gaudette, 2018 QCCA 1206.
2 Lambert c. Whirlpool Canada, l.p., 2013 QCCS 5688.
3 Gaudette c. Whirlpool Canada, 2017 QCCS 4193.
4 Lambert c. Whirlpool Canada, l.p., 2015 QCCA 433.
5 Charles c. Boiron, 2016 QCCA 1716.